“vous avez de gros risques de faire une crise cardiaque”

mon premier rendez-vous catastrophique avec une sage-femme


Pauline qui s'apprête à tirer à l'arc

moi si je revois cette sage-femme un jour

il faut savoir une chose à propos de moi, qui peut paraître étonnant vu les choix (informés) que je fais à propos de ma grossesse et de la manière dont je vis ma vie. je ne suis pas anxieuse de manière générale, je suis plutôt rationnelle et surtout une optimiste radicale. mais en ce qui concerne ma santé, je ne suis rien de tout ca. d'aucun.e dirait que je suis hypocondriaque

c'est donc à la fois sans surprise et tout en contradiction que je suis très peu à l'aise dans un environnement médical. chaque prise de sang est une épée de Damoclès qui pourrait révéler un problème. chaque analyse d'urine, plutôt que confirmer l'absence de maladie, est pour moi le risque de découvrir quelque chose qui ne va pas. un syndrome de la bonne élève, sûrement, et un peu de gènes aussi, parce que clairement, I got it from my daddy.

alors quand la sage femme de la bourgade australienne paumée où je me trouve durant mon premier trimestre m'annonce que mon cholestérol est trop haut, je me crispe. je sais, ça a toujours été le cas. en partie à cause de nombreuses années sous pilule, en partie à cause de nombreuses années à travailler à Mcdo, où je ne me suis définitivement pas lassée de manger des nuggets midi et soir. je pensais que les dernières années de ma vie à manger plus sain et bouger plus souvent auraient aidé, mais non.

le nombre n'est pas très élevé, mais la sage-femme a l'air grave. ça commence bien. "ok, on va prendre votre tension" – verdict : c'est haut. "vous stressez chez le médecin ?" à peine. "on réessaye après"

— le nombre n'est pas très élevé mais la sage-femme a l'air grave. ça commence bien. —

s'en suit un interrogatoire sur l'historique familial et médical de mon mec et moi-même. en général, tout le monde est plutôt en bonne santé. mais j'indique que mon grand-père a fait une angine de poitrine quand il était plus jeune. ce que je ne savais pas, c'est que son coeur allait très bien avant qu'il ne soit enfermé 5 ans à Nuremberg pendant la seconde guerre mondiale et qu'il ne fume 2 paquets de cigarettes par jour pendant plusieurs années après ça. autrement dit, rien de génétique qui aurait pu m'être transmis. mais l’info est là, la sage-femme le note conscienceusement dans mon petit carnet de suivi de grossesse.

peu après, elle décide de reprendre ma tension. je suis pas bête, je sais qu'elle a fait 1+1 et qu'elle pense que mon hypertension, I got it from my grandpa. bien évidemment, mon stress est palpable et ma tension encore plus haute. "mmh, je crois que vous avez pris de votre grand-père. là, il va vraiment falloir surveiller votre cholestérol et votre hypertension. vous avez de gros risques de faire une crise cardiaque, même à 30 ans."

p–pardon ? elle doit voir mon visage tourner gris sous mon masque et mes yeux s'écarquiller.

"non mais, je peux vous donner le numéro d'une bonne diététicienne. et puis, vous pouvez prendre l'assurance ambulance, on l'a tous ici. sans ça, le trajet vers la ville d'à côté, c'est $2 000. et le trajet jusqu'à Melbourne, c'est $10 000. on sait jamais, une hémorragie, un accident, c'est vite arrivé !"

je prends le papier sans rien dire. j'ai du mal a respirer. je venais juste la pour des informations sur la grossesse, pas pour me faire dire que je pouvais trépasser à chaque souffle. mon mec pose sa main sur mon genou qui s'agite, il a senti ma panique.

complètement aveugle à mon attitude qui crie que j'ai envie de me barrer de ce cabinet, la sage-femme continue ses petites recommandations en nous indiquant qu'un vaccin contre la grippe serait une bonne idée. "pour vous bien sûr, et pour papa aussi ! vous ne voudriez pas infecter maman et qu'elle finisse à l'hôpital sous assistance respiratoire !" elle dit en blaguant à moitié.

je rassemble tout le calme qui me reste pour ne pas retourner son bureau et souffle simplement "ah ben... c'est pas anxiogène ça, c'est bien"

— "vous ne voudriez pas que maman finisse à l'hôpital sous assistance respiratoire !" —

je ne dis plus rien jusqu'à la fin du rendez-vous. à peine un pied dehors, je craque. mais c'est quoi, son problème ?! déballer tout ça à une jeune femme qui vit sa première grossesse, qui a précisé qu'elle avait tendance à s'inquiéter et qui est visiblement très déstabilisée par les informations qui lui sont jetées à la figure sans aucun tact ! 

je suis furieuse. j'ai immédiatement un recul et une compassion énormes pour moi-même. jamais je ne voudrais que quelqu'un d'autre vive ça. moi qui m'étais fait violence à l'idée de voir une sage-femme. "allez, laisse-lui le bénéfice du doute, elle a sûrement plein de conseils à te donner..." je suis dégoûtée. et surtout je me demande à combien de femmes a-t-elle mis le pied à l'étrier d'une grossesse pleine d'anxiétés et de "problèmes"...

en arrivant au travail, j'en discute avec des locales qui l'ont vue auparavant. à l'une, elle a fait des remarques grossophobes et racistes et la deuxième m'explique comment elle a complètement ignoré les signes de sa fausse couche à 23 semaines de grossesse. bref, "stay away" me conseille-t-on. 

plusieurs fois pendant les semaines à venir, je me poserai des questions que toutes les primipares se posent un jour : "est-ce que c'est normal, de ressentir ça ? est-ce que je dois consulter quelqu'un ?" — par chance, je n'ai jamais eu à aller si loin, car mis à part les nausées, ma grossesse a été sans embûche.

pour autant, je sens toujours mon coeur se serrer un peu quand je lis "si vous avez la moindre question, contactez votre sage-femme !", "votre sage-femme est là pour vous aider et vous accompagner !", "ma sage-femme m'a tellement rassurée !" parce que ce n'est pas du tout mon expérience jusque là.

je ne suis pas contre l'accompagnement d'une sage-femme, mais vu comment ça a commencé pour moi, je crois que je vais être difficile à satisfaire.


Edit du 3e trimestre : j’ai trouvé une sage-femme super, jeune, engagée pour les choix informés des personnes enceintes, éducatrice de naissance et qui a assisté à des dizaines d’accouchement à la maison. je suis comblée